Le Foot Sociétal

La prise de contrôle du PSG par les Qataris en 2011 avait plutôt bien débuté avec comme maître d’œuvre un Léonardo bien inspiré qui posait, avec l’arrivée conjuguée de joueurs au talent confirmé (Ibrahimović, Silva et Motta) et de jeunes espoirs en devenir (Verratti, Pastore…), des fondations solides et cohérentes pour « Rêver plus grand ».

En 2017, l’achat simultané de Neymar et Mbappé annonçait officiellement la volonté du club d’abandonner le chantier entamé et de remettre son destin entre les mains de deux stars qui, dans un effectif très disparate, devaient seules faire basculer le PSG dans une autre dimension.

Il est fort à parier que les décideurs parisiens ne se sont jamais penchés sur les travaux des économistes Kate Pickett et Richard Wilkinson, résumée pourtant assez simplement ainsi :

« Dans leur immense majorité, avec une grande constance, (nombres d’études) confirment que les sociétés inégalitaires font moins bien que les autres. »     

Nasser invaliderait cette conclusion en s’empressant de jeter au nez de ces gratte-papiers que sa stratégie s’est concrétisée par une finale l’an dernier et une demi-finale cette année de Ligue des Champions ! (Ce qui est loin d’être anecdotique et représente une sacrée performance sportive.)

Mais en s’intéressant au contenu des matchs, à la manière dont le PSG évolue depuis quelques années, un autre constat implacable se murmure : cette équipe n’a plus aucune certitude et est capable dans un bon soir de nous éblouir de tout son talent, puis le suivant, d’exploser subitement en plein vol ; nul spécialiste ne se risquerait à parier ses propres deniers sur un match à élimination directe de ligue des champions du PSG.  

Avec Neymar, Mbappé et Di Maria, les Parisiens sont redoutables en phase offensive (ce qui n’est même pas tout à fait le cas car leur palette de jeu est réduite et ne trouve un épanouissement uniquement dans une capacité à jouer le contre).

Mais le football, malheureusement pour les parisiens, offre une alternance entre phase offensive et défensive. Une équipe bonne en contre-attaques doit avant tout l’être en défense, ce qui implique un travail collectif tactique et physique, que le PSG s’est révélé incapable de produire sur la durée dû au manque d’implication de ses stars (Mbappé et Neymar) et aux élans bien intentionnés mais brouillons d’autres (Di Maria et Verratti qui se jette constamment au lieu de se déplacer avec intelligence pour limiter la progression de l’équipe adverse).

Le Paris Saint-Germain, de par le grand écart de niveau et de statut des composantes de son effectif, se révèle être une équipe très inégalitaire aux caractéristiques proches de la société américaine : quelques très riches (Neymar et Mbappé) et de nombreux faire-valoir (Kurzawa, Bakker, Diallo, Dagba, Florenzi, Kehrer, Herrera, Danilo… la liste est longue !).  Une bombe à retardement.

Lors du match aller contre Manchester City par exemple, deux actions symbolisent les maux profonds de l’équipe parisienne que beaucoup, suite à leur prestation au tour précédent contre le Bayern, voyaient comme le nouveau grand favori de la compétition. Tout d’abord, leur incapacité à constituer un simple mur pour faire face au coup franc de Mahrez ; une désunion affolante qui offre une victoire inespérée aux Anglais. Puis, cette semelle grossière de Gueye qui amène son expulsion à la 77ème minute. Le Sénégalais très en retard sur l’action, n’est plus du tout lucide à cet instant du match, harassé par les courses incessantes. C’est Simpson sur les pentes du Mont Ventoux – on le sent-même capable, suite à son carton rouge, de prendre la direction du vestiaire mancunien tant il semble désorienté. Il s’excusera pourtant sur les réseaux sociaux le soir-même « Désolé de vous avoir laissé tomber les gars… » alors qu’il a tout simplement été abandonné par Neymar et Mbappé, qui par leur manque d’implication défensive, lui ont imposé de courir pour trois. Ce sont eux qui auraient dû faire leur mea culpa mais dans ces sociétés perverses et narcissiques, on inculque aux petites gens à s’auto-flageller, à porter les échecs et avoir honte de leur propre condition.

La solidarité dans une société inégalitaire est une chimère. Comment pourrait-on se battre pour son voisin si ce dernier nous est totalement étranger. Que sait Neymar de Bakker ou de Dagba ? Pour faire bloc, l’identification à celui qui se tient à ses côtés est nécessaire.

« On n’a peut-être pas un joueur capable de gagner un match à lui seul, comme Messi, Ronaldo, Mbappé ou Neymar. Mais le niveau moyen de mes joueurs est tellement élevé… C’est pour ça qu’aucun remplacement ne déséquilibre l’équipe » Pep Guardiola

En face du PSG s’est dressé un club plus mature, qui a aussi connu sa crise juvénile mais avec la nomination de Pep en est sortie. Depuis, à Manchester, le jeu est au centre du projet. Les éliminations successives des Citizens par Lyon (2020), Tottenham (2019) et Monaco (2017) n’ont pas secoué l’institution. Le cap est resté le même car la manière, l’offre de jeu proposé toute l’année par le coach catalan, a semblé cohérente aux propriétaires et aux fans.

Guardiola, malgré de très nombreux et coûteux achats, à toujours privilégié le collectif aux individualités. La réputation n’a jamais pris le pas sur les qualités de footballeur soupçonnées par le coach et surtout, sur la capacité de chaque recrue à se fondre dans sa philosophie.   

City, sans avoir été éblouissant, s’est hissé en finale grâce à une équipe homogène constituée de joueurs de très haut niveau. En se passant volontairement de cracks dans son groupe, le technicien catalan s’est accordé le droit de ne penser qu’au jeu, de refuser d’enfiler ce costume moderne de Manager qui ressemble à s’y méprendre à celui de super nounou. Toute son énergie est dirigée vers un unique objectif, composer la meilleure équipe possible, sans se soucier des statuts car il n’y a en a pas chez les Mancuniens. La densité du groupe ne laisse pas la place aux caprices. Chaque joueur est presque interchangeable sans que le niveau de l’équipe n’en pâtisse. La concurrence est rude mais saine. Ni l’âge ni l’histoire n’accorde de passe-droit (Aguero et Gabriel Jésus sur le banc au profit de Foden, à peine âgé de 20 ans). L’équipe de Guardiola, par son équilibre et sa quête d’homogénéité prend des allures de société scandinave.

Et ce n’est sans doute pas un hasard si le coach catalan retrouvera en finale de la Ligue des Champions ce samedi, Thomas Tuchel, qui, après deux ans et demi à câliner les stars parisiennes, a retrouvé des couleurs sur le banc de Chelsea où lui aussi, dispose d’un effectif certes moins clinquant mais plus homogène avec lequel il peut travailler plus sereinement.

Par impatience, le PSG se présente au monde sans philosophie et sans âme, un être schizophrénique auquel il est difficile de s’identifier et donc de s’attacher. Mais cela n’inquiète peut-être pas les propriétaires car à l’instar de Neymar, le PSG se veut être une pop-star adolescente pour adolescents. Les jeunes et nouveaux fans parisiens sont davantage hypnotisés par les hommes que par le club. D’où cette odieuse danse du ventre déployée par le club pour pérenniser ce mariage toxique avec ses deux stars. Le sport est placé au second rang car le marketing, l’image et les enjeux géopolitiques ont malheureusement tout emporté.