Avec Malcom et Marie, Netflix a ravivé la flamme. Le titre évoque Truffaut et son Jules et Jim. Le choix du noir et blanc semble confirmer ce premier sentiment, un film d’auteur. Puis Malcom et Marie apparaissent, de retour dans leur villa suite à la projection du film de ce premier qui savoure allégrement son triomphe tandis que sa complice, présentée distante, brise peu à peu son ivresse. Moins de cinq minutes se sont écoulées et j’envisage déjà ce film comme une satire, dans un premier temps du cinéma d’auteur français des années 60 avant de me raviser immédiatement, et foncer plus fort, celle des élites intellectuelles et artistiques, blanches bien sûr.
Ce qui m’amène à cette précipitation est l’offrande de l’intimité de ce couple noir, beau et jeune, philosophant sur leur condition d’artiste et s’écharpant mutuellement sur leurs lacunes conjugales. Elle, l’air évasif, inspire puis expire régulièrement la fumée d’une cigarette depuis la terrasse donnant sur l’océan, et lui, s’envoie de grandes rasades de whisky tout en valsant à travers les différentes pièces de la maison ; une volubilité qui ne peut qu’appartenir à ceux qui ne souffrent pas, aux dominants, aux blancs. Mais Malcom comme ayant accès à mes analyses, fustige le spectateur imprudent qui s’aventurerait à politiser toute œuvre mettant en scène des noirs.
Une pensée dérangeante se fait lancinante en moi : ne suis-je pas raciste ?
La vue de Malcom et Marie transporte quelque chose d’irréelle ; ces codes, pour moi, sont la propriété exclusive des blancs – substituer le couple par Sartre et de Beauvoir crédibiliserait à mes yeux cette situation. Triste, j’encaisse mon étroitesse d’esprit.
Qu’il est délicieux de pouvoir tout dire, tout décharger sur l’être aimé, cause et solution d’une partie de nos désordres
Je comprends alors que je fais face à une œuvre plus puissante, beaucoup plus subtile et efficace que Black Panthers et Moonlight (films que je n’ai pas aimés comme Cartman) dans le choix de l’éclairage posé sur la communauté noire américaine. Sans faire de bruit (bien que le film soit insupportablement bruyant), elle présente une scène classique de la vie conjugale et offre ainsi une référence alternative à la beauté, à l’accomplissement et à la normalité noirs, que celles généralement représentées (sport, rap, gang, pauvreté…) ; d’autres voies sont pénétrables, d’autres sentiers sont explorables, d’autres vies sont possibles comme a pu le faire en son temps la série le prince de bel air, racontant le quotidien et dévoilant, chose rare, les expressions d’affection d’une famille aisée noire-américaine.
Ensuite, comment ne pas se pencher sur cette fenêtre proche du voyeurisme, un ping-pong verbal élégant entre psychanalystes. Qu’il est délicieux de pouvoir tout dire, tout décharger sur l’être aimé, cause et solution d’une partie de nos désordres. Parfois Marie et très souvent Malcom me renvoient à ma propre incomplétude et mes nombreuses contradictions. Le couple, promu par la société comme foyer sécure, se dévoile sous son aspect originel, une tentative d’assemblage vouée à l’échec de deux puzzles. Mais le film ne se laisse pas aller à la facilité, au cynisme et confirme l’intelligence de ses personnages qui ne sont pas dupes quant à leur condition et l’acceptent, tout en râlant.
Les vingt dernières minutes sont de mon côté abordées sans grande attention – las, j’ai succombé aux charmes, pourtant non moins connus et médiocres, de ceux de mon téléphone. Malcom et Marie est un vaudeville contemporain, frais et redondant – « Marie, Marie, Marie… » – comme une dispute, qui m’a plu et surpris par son propos et sa forme, rappelant à mes dépens que la diversité dans le cinéma est encore chose trop rare.