Eduardo Galeano a écrit : « Dans sa vie, un homme peut changer de femme, de parti politique ou de religion, mais il ne change pas de club de football. » Comme tous les amoureux de foot, je me délecte des mots de l’écrivain Uruguayen. Mais l’époque est différente, et j’ai bien peur que nos rapports au football aient changé.
Et si finalement le plus grand tort de l’ex-Président de l’Olympique de Marseille, Jacques-Henri Eyraud, fut de briser l’omerta en avouant ce que nous étions nous, supporters, tous devenus pour les clubs : des clients.
“les high lights ont remplacé
les 90 minutes de souffrance”
En voulant nous respecter, nous traiter en adultes que nous sommes, feu Eyraud a pourfendu l’illusion et s’est livré au pêché originel, nous invitant d’une main ferme à prendre place dans le rocking chair et à contempler l’état dégradé de notre condition : le sport, et notamment le football, se consomme différemment – les high lights ont remplacé les 90 minutes de souffrance. De plus en plus de personnes découvrent le résultat et les meilleures actions d’un match en faisant la queue chez l’épicier ou aux toilettes. Nous ne sommes plus aux côtés de nos troupes car en réalité elles ne sont plus nous, les joueurs ne représentent plus une ville, une région ou une identité collective. La libéralisation du football et sa popularité en ont gommé les caractères, les aspérités. L’argent est devenu la valeur majeure, pire, l’unique ! La marchandisation des joueurs eux-mêmes les a rendus froids, distants, préférant quitter leur club formateur pour une quelconque destination disposée à doubler leur salaire. Les clubs, allons plus loin, le capitalisme a tout détruit. Il n’y a plus de lien autre qu’économique. Il a financiarisé notre amour pour nos clubs.
Les ultras veillent sur un temple déjà disparu. Il faut l’accepter, notre sport se nord-américanise, il devient un simple spectacle, un divertissement comme les autres. Et dans ces conditions je vous encourage à récupérer cet amour, car il n’existe que quand il est partagé. Virez de chez vous les Dimitri et autres Kyky, ils ne vous méritent pas ! Consommez-les un peu plus pragmatiquement – textotez-les vers minuit, juste pour un verre et un bout de nuit – mais ne leur donnez plus tout, ne leur ouvrez plus grand votre cœur car ils vont tout saccager, comme on leur a appris, comme les directions de clubs leur ont appris, comme le système nous l’apprend.
Plus simplement, n’ayez plus de remords à vous éloigner ni même à changer de club. Ne restez pas prisonnier du passé, de vos souvenirs d’enfant (pour moi 94, un but de Weah contre le Bayern et mon père me prenant dans ses bras), rapprochez-vous de ceux qui vous respectent, qui veulent construire quelque chose avec vous. Je suis pour l’idée que tous les quatre ans (année de coupe du monde par exemple), chacun ait le droit de supporter un autre club s’il le souhaite. Les clubs qui partagent, qui travaillent bien (Atalanta, Sassuolo, l’Ajax, Leipzig…) et qui n’imaginent pas leur existence sans leurs supporters se verront peut-être récompensés.
Si vous adoptez ce choix, certains ne pourront s’empêcher de vous traiter de footix ! mais n’est-ce pas une condition plus enviable que celle de pigeon ?